Les collaborations entre sportifs, artistes et fabricants de chaussures de sport font de la basket un objet de société et de collection. Au Mudac, l'exposition "Sneaker Collab" décrypte le phénomène.
- RÉALISÉ POUR LE TEMPS -
Elle foule les rues du monde entier, arpente les scènes musicales et défile même sur les podiums des grandes maisons de mode. Comme affranchie des stades où elle a fait ses débuts, la basket (ou sneaker) se meut désormais en œuvre d’art. Avec ses modèles rares et ses collectionneurs. En collaboration avec l’association Swisssneaks, la référence helvétique dans le domaine formée de Julian Bessant-Lamour, David Berguglia et Philippe Cuendet, le Musée du design et d’arts appliqués contemporains (Mudac) de Lausanne présente Sneaker Collab. «Nous avions déjà collaboré sur de petits projets, explique David Berguglia. Cette fois, nous sommes arrivés avec l’idée de créer une exposition autour de la sneaker.»
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Le concept est original et bien dans l’air du temps. Et pour le musée du design, il tombe pile au bon moment. «Le Mudac va bientôt déménager pour rejoindre en 2021 son nouveau bâtiment sur le site de Plateforme 10. Je cherchais donc une idée qui marquerait les esprits et toucherait un public plus jeune, explique Marco Costantini, conservateur au Mudac. A l’approche du programme «Lausanne en Jeux!» des Jeux olympiques de la jeunesse Lausanne 2020, s’intéresser à la basket m’est apparu comme une évidence. D’autant que c’est un objet qui n’avait, à ce jour en Suisse, jamais fait l’objet d’une présentation dans une institution.»
Dans une scénographie résolument urbaine imaginée par le graphiste Philippe Cuendet, les chaussures sont accompagnées par une sélection d’œuvres d’art plutôt issues de la culture street. Parmi elles, une toile de Futura 2000, le graffeur star new-yorkais des années 1980. Ainsi qu’un grand tableau qui associe la croix fléchée typique de Virgil Abloh, le directeur artistique de Louis Vuitton Homme, et la marguerite hilare de l’artiste japonais Takashi Murakami.
Chaussure Frankenstein
Londres est également à l’honneur grâce à une drôle de paire spécialement confectionnée pour l’occasion et signée d’Helen Kirkum, designer de sneakers. David Berguglia, directeur artistique de Swisssneaks, a fait appel à la Britannique dans cette volonté de représenter toutes les collaborations, ici entre un musée mais aussi entre une créatrice.
«Je m’intéresse au travail d’Helen depuis un moment. Elle est connue pour créer des baskets à partir d’autres paires. On lui en a envoyé dix de plusieurs marques différentes. Elle les a toutes découpées pour créer une nouvelle chaussure, pointure 44.»
Inutile de préciser que la basket Frankenstein, qui apparaît sur l’affiche de l’exposition, est un exemplaire unique. Ce patchwork ouvre ainsi le bal à une foulée d’autres baskets tout aussi rares et décalées. L’accrochage réunit une centaine de modèles, souvent mythiques. Telle la réédition de la célèbre Nike Air Mag qui se lace toute seule dans le film Retour vers le futur 2 (1989) ou encore l’Adidas Teddy Bear, sneaker nounours à paillettes imaginée par le créateur de mode Jeremy Scott.
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Et puis il y a le Saint-Graal. La Nike «Air Jordan 1 – Bonjour/Au revoir» élaborée en collaboration avec l’ancienne boutique parisienne Colette est impossible à trouver. Swisssneaks a quand même réussi à la faire venir à Lausanne. Manière de dire aussi qu’à côté des Converse et autres Asics, la marque au Swoosh truste les rayons. «Il ne s’agit pas d’une préférence de l’association ou du Mudac, insiste David Berguglia. S’il y a beaucoup de Nike, c’est surtout parce que l’exposition se veut un miroir du marché. Et en termes de sneakers, il faut reconnaître que la marque règne en maître.»
Réparti dans deux salles du Mudac, Sneaker Collab se divise en plusieurs sections. La partie luxe présente des pièces issues de partenariats entre fabricants de chaussures de sport et personnalités de la haute couture. On y retrouve la très en vogue Yeezy Boost élaborée par Adidas avec le rappeur et designer américain Kanye West. Celle réservée à l’innovation expose des prototypes tournés vers le développement durable. La Nike Zvezdochka par exemple, conçue avec le designer industriel Marc Newson, étonne par son allure futuriste et son approche déconstructiviste.
Objet d'hystérie
Le secteur hybride met en avant des associations impliquant des figures de la musique comme Travis Scott, Busy P ou le Wu-Tang. Ces collaborations résonnent alors comme une démocratisation absolue du haut de gamme. La chaussure devient un gage de singularité et donc de convoitise. Elle hystérise les jeunes en quête de cool, qui les veulent aux pieds, à l’instar de leur idole, et les férus des néobaskets qui, eux, préfèrent les collectionner chez eux, tels des trophées.
«La sneaker n’est pas une chaussure comme les autres, observe Marco Costantini. Les ados des années 1980 qui ont passé leur jeunesse avec ont désormais l’âge de diriger des entreprises. Cette culture dans laquelle ils ont baigné leur fait voir les choses autrement. Ils ont élaboré des règles différentes que celles de la génération précédente. Les baskets ont suivi la même évolution. Ce qui fait d’elles un vrai reflet de notre société au cours du temps.»
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